Blocage des VPN : l'Arcom intensifie sa guerre contre l'IPTV pirate

Blocage des VPN : l'Arcom intensifie sa guerre contre l'IPTV pirate

Pour lutter contre l'IPTV pirate, l'Arcom a demandé aux principaux VPN de bloquer pas moins de 295 sites de streaming illégaux. Et un nouveau dispositif de blocage, très controversé, pourrait aussi bientôt débarquer en France.

Le streaming illégal des compétitions sportives s'est transformé en phénomène de masse ces dernières années. Face à la flambée des tarifs des plateformes et des chaînes spécialisées, de plus en plus de supporters se sont tournés vers des services IPTV (Internet Protocol Television) pirates promettant un accès quasi illimité aux contenus payants pour une cinquantaine d'euros par an. Une véritable guerre s'est engagée entre eux et les diffuseurs. Dernièrement, les ayants droits ont changé de stratégie. Il ne s'agit plus seulement de poursuivre les plateformes illégales –qui sont souvent hébergées hors d'Europe ou qui changent d'adresse en permanence –, mais de s'attaquer aux outils permettant à ces sites de rester accessibles malgré les blocages : les VPN.

En juillet dernier, la justice a contraint plusieurs services VPN à bloquer l'accès aux retransmissions sportives piratées (voir notre article). L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) compte bien accentuer la pression. Comme l'a révélé L'Informé, l'organisme a contacté plusieurs grands fournisseurs, dont NordVPN et Surfshark, pour leur demander de bloquer 295 sites spécialisés dans la retransmission illicite de compétitions sportives. Cette action s'appuie sur un nouveau dispositif légal permettant d'étendre des décisions de justice existantes à de nouveaux acteurs, alors qu'elles visaient jusqu'ici surtout les fournisseurs d'accès à Internet et les moteurs de recherche. 

IPTV illégale : l'Arcom ordonne aux VPN de bloquer près de 300 sites

Replantons un peu le contexte. En juillet dernier, les ayants droit ont saisi la justice française et ont obtenu que les fournisseurs de VPN prennent une part active dans la lutte contre l'IPTV. Le tribunal leur a ordonné d'agir dans un délai de trois jours, en bloquant les noms de domaine et sous-domaines utilisés pour la diffusion illégale jusqu'au 7 décembre 2025, date de la fin du championnat de Formule 1, un des sports que les ayants droit cherchent à protéger à tout prix. Une décision qui s'appuie sur l'article 333-10 du code du sport, qui permet aux détenteurs de droits de demander des mesures dynamiques de blocage contre les retransmissions illégales, y compris en cours de compétition.

Armées de cette décision de justice, Canal+ et beIN Sports n'ont pas perdu de temps et ont rapidement identifié des centaines de sites miroirs ou alternatifs. Les deux chaînes ont donc saisi l'Arcom qui, entre mi-juillet et mi-septembre, a envoyé une série de courriers aux VPN concernés, leur demandant d'étendre le blocage à 295 nouvelles adresses. Parmi elles se trouvent de grands noms du piratage, comme Rojadirecta, Sportsonline, Streameast, HesGoal ou encore Volkastream. De quoi compliquer la vie des amateurs de matchs gratuits !

Pour les fournisseurs de VPN, l'opération relève du casse-tête. Bâtis sur une promesse de confidentialité et de neutralité, ces services disent comprendre l'objectif de lutte contre le piratage, mais refusent de se transformer en censeurs. Au printemps, leurs avocats avaient rappelé devant la justice que l'architecture même des réseaux privés virtuels — serveurs disséminés dans le monde, adresses IP partagées, absence de géolocalisation précise — rend tout blocage ciblé particulièrement complexe, voire impossible. Ils jugent également que la mesure est inefficace, dans le sens où elle ne s'attaque pas aux causes profondes du piratage. Plutôt que de s'attaquer aux simples relayeurs de trafic, il faudrait à la source : cibler les hébergeurs des contenus, couper leurs financements et, surtout, améliorer l'accès aux offres légales – la LFP travaille d'ailleurs sur ce point avec sa propre plateforme de diffusion, Ligue 1+, qui propose des tarifs relativement abordables.

Rassemblés au sein de l'Internet Infrastructure Coalition (i2Coalition), plusieurs fournisseurs ont d'ores et déjà prévenu qu'un durcissement de la réglementation pourrait les conduire à se retirer du marché français — un scénario déjà observé en Inde et au Pakistan.

IPTV illégale : vers un système de blocage IP en temps réel ?

Pas sûr que ces menaces émeuvent l'Arcom. Le mercredi 1er octobre, le président de l'organisme, Martin Ajdari, s'est exprimé lors de son audition par la Commission de la Culture, de l'Éducation, de la Communication et du Sport du Sénat. Il a notamment annoncé la mise en place prochaine d'un système de blocage IP en temps réel, qui découle d'un accord signé en mai dernier entre fournisseurs d'accès à Internet et ayants droit.

Concrètement, dès qu'une adresse IP diffusant illégalement un match est repérée, l'Arcom devra la transmettre aux fournisseurs d'accès, qui devront la bloquer en quelques minutes. Contrairement aux procédures classiques de blocage de sites, ordonnées sur la durée par un juge, ce dispositif fonctionne par mises à jour permanentes, étant donné que les diffuseurs illégaux déplacent sans cesse leurs serveurs pour contourner la mesure.

L'Association pour la Protection des Programmes Sportifs (APPS), qui regroupe les principaux diffuseurs français et ligues professionnelles sportives, soutient cette approche depuis plusieurs années. Xavier Spender, le délégué général de cette structure, s'exprimait récemment à ce propos : "Notre volonté est de bloquer les serveurs en tête de réseau, soit au plus haut niveau possible de l'architecture des pirates. Nous avons face à nous des organisations très pyramidales avec à leur tête des usines qui récupèrent les flux qu'ils mettent sur des serveurs. Dans les étages en dessous, on trouve des grossistes et des revendeurs. Avec un seul serveur natif, voilà comment on se retrouve avec des centaines d'offres différenciées, adoptant chacune un marketing local, comme le dealer au coin de la rue." L'idée est donc de cibler le sommet pour neutraliser tout le reste.

Mais cette méthode est tout de même très décriée, car elle n'est pas sans dommages collatéraux. En effet, une adresse IP peut être partagée par plusieurs services ou hébergeurs (notamment via le cloud). Bloquer une IP entière peut donc priver d'accès des sites ou plateformes parfaitement légitimes et, parfois même, indispensables. C'est justement ce qui se passe en Italie et en Espagne, où des dispositifs similaires ont été mis en place. Les autorités françaises vont donc devoir trouver un équilibre délicat entre efficacité contre le piratage et protection des services légitimes.

Ce système provoque également une levée de boucliers du côté des associations de défense des droits numériques, qui alertent sur le risque d'un filtrage disproportionné qui pourrait créer un précédent en matière de censure en ligne. Sans compter que cela pourrait ne faire que déplacer le problème, au lieu de le résoudre. Privés de leurs canaux habituels, les diffuseurs illégaux risquent de vite s'adapter en migrant vers d'autres solutions techniques : utilisation de nouvelles plages d'adresses IP, hébergement sur des serveurs éphémères, recours au peer-to-peer, applications de messagerie chiffrées ou encore diffusion via les réseaux sociaux. Dans ce scénario, le piratage ne disparaîtrait pas, il changerait simplement de visage. Résultat : les mesures de blocage deviendraient rapidement obsolètes et obligeraient les autorités à multiplier les dispositifs, au risque d'entrer dans une escalade sans fin entre censeurs et pirates.